< La jeunesse Utanlain Morelsinya
Chapitre second - Guerrier
La formation >   


"La vie n'est qu'une ombre qui passe ; un piètre acteur qui s'agite et se pavane un temps sur la scène, et puis qu'on entend plus ; c'est une histoire contée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, ne signifiant rien."
 
Mac Beth, Acte V Scène 5
Shakespeare

 
a Confrérie Indigo est le nom que nous donnons au corps principal qui forme le cœur de l'Armée Royale de Neriak. De ses rangs sont sortis les plus grands guerriers de notre peuple, et en son sein j'ai commencé mon apprentissage.
 
J'ai eu le plaisir d'intégrer l'Académie la même année que mon très cher ami Uenaelar, et c'est ensemble que nous suivîmes les premières années de notre formation.
 
Les premiers mois furent consacrés presque exclusivement à l'instruction théorique des techniques de combat de notre peuple, ainsi qu'à de très fréquentes visites au Grand Temple, où l'on nous serinait d'ennuyeux discours sur l'ordre social Teir'Dal et qui mettaient en exergue l'écrasante supériorité des familles nobles sur les gens du commun. Il ne m'appartient aucunement de révéler les origines d'Uenaelar, mais comprenez bien que ces discours d'endoctrinement, qu'à ma grande honte aujourd'hui je croyais alors, alliés à la relative chétivité physique de mon ami, m'amenèrent à ressentir un indéniable sentiment de supériorité envers lui. D'abord attendri par ses faiblesses, mon arrogance me poussa vers le dédain, si bien que je refusais systématiquement de m'entraîner avec lui lorsque je n'y étais pas forcé, sous prétexte que je ne pouvais progresser en affrontant un adversaire visiblement si peu à ma mesure. Plus tard, Uenaelar m'aiderait involontairement à trouver ma voie.
 
Mais revenons à l'entraînement en lui-même. Hors des exercices de combat, les apprentis issus de familles nobles recevaient leur enseignement en privé avec un maître de la Confrérie. J'étudiais pour ma part sous la férule du Seigneur de Guerre Oresinas. C'est sous ses ordres que je recevais mes premières leçons d'épée à une et deux mains, de hache, de masses et d'utilisation du bouclier. De part ma naissance, j'avais déjà reçu un enseignement martial de base, enseignement que mon maître s'employa à me faire oublier. Lorsque je n'étais pas sur le champ d'entraînement, j'étais dans la bibliothèque attenante, recevant des leçons de philosophie.
 
Trois longues années passèrent avant que mon maître ne se décide à me faire passer à l'étape suivante de ma formation. Il m'amena alors à sa sœur, Dame Opalla, elle aussi Seigneur de Guerre de la Confrérie. Avant même que j'ai pu me présenter à elle selon les rites et formules consacrés, elle m'attaqua avec fougue, ne consentant à arrêter sa lame qu'à un cheveu de ma gorge, au moment où elle allait me porter le coup fatal. Elle me tendit alors la main en souriant et m'aida à me remettre sur pied.
 
"C'est ma façon de tester tous les nouveaux étudiants. Je sais ainsi mieux comment leur transmettre mon savoir."
 
Si j'avais trouvé Oresinas dur et inflexible, attendant beaucoup de moi, Opalla se révéla un maître plus exigeant encore. Non contente de m'enseigner l'art de la guerre et la voie des armes, elle me fit partager ses réflexions philosophiques et théologiques, et nous nous affrontâmes plus d'une fois autour d'un plateau d'échec.
 
Après une année sous la tutelle d'Opalla se produisit l'événement qui changerait le cours de mon existence à tout jamais. Je me souviens qu'Uenaelar avait été banni, cet été là, pour je ne sais plus quelle sombre raison, peut-être la relecture de ses Pierres de Mnémos me rafraîchirait-elle la mémoire. Toujours est-il que je fus infiniment surpris, ce soir-là, de croiser sa silhouette dans les rues de Neriak. M'approchant de lui, je m'apprêtai à faire mon devoir et à l'arrêter afin de le remettre entre les mains de la Confrérie. Je fus accueilli par une cuisante douleur. Titubant, cherchant à reprendre mon souffle, je remarquai à travers le voile pourpre de la souffrance qu'Uenaelar avait maintenant les yeux complètement et uniformément rouges sang. Je sentis glisser sur mes protections magiques les prémices d'un sortilège d'effroi. Je continuai à reculer en titubant. Ce qu'Uenaelar prit pour la conséquence normale de son sortilège fut en réalité ma réaction à un événement bien plus sombre.
 
"Tu… es MIEN !!", avait murmuré en mon esprit une voix lugubre.
 
J'avais trop souvent entendu conter cette histoire pour me méprendre sur le sens de ces paroles, ou l'identité de celui qui les avait prononcées.
 
Innoruuk venait de me mander dans sa Garde Personnelle. Ce n'est pas le genre d'invitation que l'on peut refuser.
 
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