Utanlain Morelsinya
Prologue - La convocation
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"Des mouches, tournant autour de gens dévergondés. Voila ce que nous sommes pour les Divinités. Elles nous tuent pour s'amuser."
 
Le Roi Lear, Acte V Scène 5
Shakespeare

 
l pleut. Il pleut à verse sur les Basses Terres.
 
Il pleut toujours lorsque je retourne à Neriak la Sombre, à croire que les prêtres travaillent à dessein contre moi.
 
Alors que je m'engage dans l'étroit défilé qui mène des Basses Terres Orientales à notre Forêt de Sang, Nektulos, les éléments se calment soudainement. Après tout, il ne pleut dans Nektulos que lorsque nous le désirons.
 
La pluie dans les Basses Terres et pas dans notre Forêt ne peut signifier qu'une chose. Ce soir, à la faveur de la nuit et camouflés par une pluie torrentielle, des ambassadeurs Teir'Dal iront rendre visite à Sir Dlere.
 
Je sens les esprits gardiens, éternelles sentinelles, s'activer brièvement alors que je sors du défilé puis, rassurés sur mon identité, ils retombent dans l'inactivité. Je plains sincèrement la pauvre âme qui aura l'infortune d'être leur proie lorsqu'elle tentera de pénétrer dans notre Forêt sans y être officiellement conviée.
 
Je pose mes yeux sur la Forêt et me sens renaître, comme un assoiffé à qui l'on accorderait une goutte d'eau. Elle est étendue devant moi, aux pieds de la colline sur laquelle je me tiens. Une oasis de vert sombre, brillante comme une gigantesque émeraude veinée de pourpre. Le vent qui m'en parvient me porte les mille et une senteurs de sa flore.
 
Luxuriante et vivante, ainsi est la Forêt. Plus encore que dans mes souvenirs. Je commence à m'avancer le long du sentier, dans la pénombre verte et cramoisie du Bois. Je revois les larges fleurs rouges, bleues et mauves, si éblouissantes. Je revois la mousse rougeâtre accrochée aux branches, semblant se tendre vers moi. Je revois les lierres, épais, serpenter entre les arbres en de complexes motifs que je m'arrête un instant afin de contempler.
 
Je resserre ma cape autour de mes épaules au moment où la brume glacée de la Forêt se lève. Nous appelons cette brume le Linceul des Âmes Egarées, car d'aucun prétendent qu'elle est constituée de l'essence même des Teir'Dals tombés pour défendre Nektulos. Les chuchotements et soupirs qui la peuplent étayent incontestablement cette légende.
 
Tout à ma joie de retrouver la Forêt, je n'ai apparemment pas assez prêté attention à la faune environnante. Me voici suivi par une douzaine de squelettes gardiens prêts à en découdre. Je comprends l'utilité de ces créatures pour ralentir les intrus et former les nouvelles recrues, mais il nous faudra bien pourtant un jour nous débarrasser de ces êtres incapables de discerner l'ami de l'ennemi. Fiers de ce qu'ils pensent être un fin stratagème, ils commencent à m'encercler en laissant entendre leurs affreux ricanements de satisfaction. Ils hésitent un instant, se regardant les uns les autres, lorsque je rabat le capuchon qui dissimulait mon visage. Prenant son courage à deux mains, celui qui est apparemment le chef de cette piètre équipe hurle son défi et se jette sur moi, immédiatement imité par ses sbires. Un mot de pouvoir, un seul, suffit pour mettre un terme à leur seconde et dernière vie.
 
Passé cet incident, mon chemin jusqu'à la porte de Neriak se déroule sans encombre, égayé à deux reprises par l'accueil chaleureux de meutes de Loups d'Ombre. Arrivé à l'Arche, je salue les gardes qui se sont raidis, au garde-à-vous, et entre sans plus attendre dans la Sombre Cité.
 
Afin de faciliter mon passage jusqu'à la Troisième Porte, je laisse entrevoir aux masses populaires des Quartiers Etrangers et de la Zone Commune un aperçu de ma puissance et de mon Aura Impie. Être Seigneur du Sépulcre présente certains avantages, dont celui de pouvoir faire facilement le vide autour de soi, et ce même dans les foules les plus denses.
 
Arrivé à la Troisième Porte, je me hisse sur les remparts afin de contempler la Cité. Un éventail de couleurs allant du rose pâle au carmin profond danse devant mes yeux, témoignage de la magie intense de ce lieu. Au loin, une lueur bleue intense et caractéristique signale ma destination : la Loge des Morts.
 
Contournant le Grand Temple d'Innoruuk et la Bibliothèque, je parviens au chemin sinueux qui mène à la Loge. Les goules s'inclinent sur mon passage et je les ignore en passant l'arche qui mène à la Guilde.
 
Là, je suis reçu par mon page, Ahrez, qui me suit alors que je me dirige vers mes appartements.
 
"Bienvenue, Seigneur. Nous vous attendions plus tôt."
 
Mon regard doit être plus glacial que je ne le désirais, car il suffit à le décourager de poursuivre sur cette voie, et il change de sujet.
 
"Les nouvelles sont inquiétantes, Seigneur. On prétend que le Seigneur Uenaelar aurait péri."
 
Sur ces mots, j'interromps ma marche une seconde, puis la reprend.
 
"Comment ?", demandé-je
 
"Nous l'ignorons encore. Notre envoyé n'est toujours pas revenu de sa mission. Sans la 58ème Pierre de Mnémos d'Uenaelar, nous ne pouvons déterminer précisément ce qui s'est passé. Vous savez comme les Chevaliers sont difficilement affectés par les arts divinatoires. Tout ce que nous avons pu déterminer est qu'il aurait péri devant Kelethin, après avoir mis la cité à feu et à sang."
 
"Damné soit-il ! Je lui avais bien dis de faire parvenir ses Pierres plus fréquemment ! Cela fait déjà plusieurs mois que nous avions reçu sa 57ème Pierre. Ce 58ème opus sera certainement très chargé, et je l'espère riche en enseignements."
 
"Il y a autre chose, Seigneur."
 
"Quoi encore ? Plus grave ?"
 
"Je ne saurais dire Seigneur… Vous êtes attendu au Temple…"
 
Cette fois-ci je m'arrête complètement et demande dans un sourire, en tournant lentement mon visage vers lui :
 
"Et qu'attendais-tu exactement pour me le dire ?"
 
Il recule de quelques pas et tombe à genoux, implorant mon pardon. Je m'adoucis.
 
"Allons Ahrez, relève-toi. Cette attitude n'est pas digne d'un Chevalier. J'ai promis à ton père de veiller sur toi et je suis lié par mon Honneur à ce vœu. Quand bien même le désirerais-je, je ne pourrais te faire le moindre mal."
 
J'ajoute dans un sourire, chaleureux cette fois :
 
"Et puis quel fieffé idiot serait assez stupide pour punir un messager à cause des nouvelles qu'il apporte ?"
 
Plus d'une douzaine de noms se bousculant dans ma tête en réponse à cette question, je décide d'en rester là.
 
"Prépare mon paquetage et ma monture pour un très long voyage. Je sens que mon séjour à Neriak va être de très courte durée."
 
Tout en me rendant de la Loge au Temple, je repense aux nouvelles qu'Ahrez vient de me communiquer. Uenaelar est mort. Mon ami, mon frère dans les Ténèbres, mon semblable malgré tout ce qui nous séparait, est mort.
 
Repensant à tout le chemin parcouru depuis le jour où nous nous découvrîmes Chevaliers, mon esprit vagabonde…
 
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